Amazon a récemment investi dans des magasins physiques pour vendre des livres et pris le contrôle d’une grande chaîne de supermarchés bios. Est-ce le signe que, contrairement aux idées reçues, les boutiques ou autres points de vente auraient de l’avenir même à l’heure du e-commerce et de la banque en ligne ?
Depuis vingt-cinq ans, le commerce électronique grignote chaque année des parts de marché sur le commerce traditionnel. Avec ses 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il représente en France environ 9 % du commerce de détail selon la Fevad. De nombreux magasins fragiles attaqués par cette lame de fond ont donc fermé et le mouvement ne semble pas près de s’arrêter. Il en va de même dans le secteur bancaire, où on annonce depuis des lustres la fermeture en masse des agences. La baisse de fréquentation des agences est avérée et place les grands réseaux devant la nécessité de réduire la voilure. En dix ans, le réseau bancaire a perdu 5 % de ses agences, mais le rythme devrait s’accélérer, une agence sur huit devant fermer en France d’ici 2020 selon le cabinet Sia Partners. Avec 5,7 agences pour 10 000 habitants, la France dispose du deuxième maillage le plus dense en Europe, soit cinq fois plus qu’aux Pays-Bas et trois fois plus qu’en Grande-Bretagne. La légère contraction du réseau bancaire français, même si elle risque de s’accélérer, est peut-être davantage l’ajustement de certains excès qu’une remise en cause définitive du concept d’agence physique, on va comprendre pourquoi. D’ailleurs, certains réseaux annoncent réinventer leurs agences plutôt que de les fermer. Les travaux de l’École de Paris du management sur les transformations numériques3, menés depuis trois ans sur plus de vingt-cinq cas issus de secteurs divers, vont nous aider à interroger cet apparent paradoxe : comment les grands acteurs du numérique peuvent-ils investir dans des magasins et autres points de vente au moment même où les acteurs classiques en réduisent le nombre? Les magasins physiques : une source de croissance à ne pas manquer
Dans le monde de la distribution, 2017 aura été une année révolutionnaire. En mai, Amazon a ouvert à New York un magasin physique pour vendre des livres : c’est Amazon Books ! Un mois plus tard, il a racheté Whole Foods, une chaîne de supermarchés bios qui connaît un grand succès. Le message n’est pas passé inaperçu : les digital pure players ne se contentent plus du e-commerce, ils investissent désormais le commerce traditionnel. En France, le courtier en ligne Meilleurstaux.com avait déjà ouvert des agences physiques dès 2001, avant d’étendre son réseau sous forme de franchise. Aujourd’hui, il en compte plus de 300. Cela faisait office d’originalité, mais le message d’Amazon est un véritable coup de tonnerre. Historiquement centré sur les livres, Amazon a habilement mis à profit sa maîtrise logistique et la puissance de sa marque pour offrir progressivement des films, des disques, puis tout ce qui peut se vendre. Il a ainsi multiplié son marché potentiel par dix. Avec son passage dans le monde physique, Amazon vient une nouvelle fois de décupler son marché potentiel puisque le commerce reste à 90 % physique.Lors du premier décuplement, son arme révolutionnaire s’appuyait sur une logistique mondiale à toute épreuve. Pour ce second décuplement, son arme repose sur les données de ses clients qui vont lui permettre de faire vivre une expérience enrichie à tous ceux qui franchiront le pas de sa porte. Amazon n’arrive pas dans le commerce de proximité par hasard : il compte bien changer les règles de son nouveau terrain de jeu. L’expérience vécue dans un magasin Amazon doit être différente, plus interactive, plus personnalisée et finalement plus impactante tout en étant compétitive en matière de prix. Cette nouvelle arme est appelée le phygital, une hybridation du physique et du digital qui promet le meilleur des deux mondes.
Phygital : réenchanter les lieux de vente ?
À la place des conseils du libraire, on trouve dans ces Amazon Books des corners thématiques où les livres exposés ont tous été notés plus de 4,8/5 par plusieurs dizaines de milliers de lecteurs. On trouve même un corner qui expose les 50 livres qu’il faut avoir lus dans une vie si l’on en croît les clients d’Amazon. Comment résister à la tentation de les acheter ? Les clients les liront-ils ? C’est moins sûr, mais ceux qui n’osaient pas entrer dans une librairie entrent désormais dans un Amazon Books et achètent parfois. C’est bien l’essentiel pour Amazon qui ne cache pas ses intentions : vendre, pas remplir une mission culturelle. Les magasins Whole Foods font également leur mue. Au-delà des méthodes logistiques implacables d’Amazon, ils accueillent désormais des casiers permettant de récupérer les achats réalisés sur Amazon ainsi que des corners pour vendre tous les produits phare de la maison mère (liseuse kindle, enceinte connectée, etc.). Mais c’est bien l’utilisation des données et des recommandations qui promet une transformation en profondeur des parcours clients dans le magasin, le smartphone étant l’interface de prédilection avec des bornes d’information installées en différents endroits. Le monde de la distribution a rapidement réagi. Développer de nouveaux usages. En France, le cas Casino est un exemple de la réaction rapide du secteur traditionnel de la grande distribution. En un temps record, le Groupe a déployé de multiples variantes d’hybridation physique/digital. Occupant la 4e place en France, son positionnement est original puisqu’il se présente comme multiformat et multienseigne : il est présent de l’hypermarché Géant Casino en périphérie urbaine à la petite supérette de village de montagne (Sherpa), du commerce de centre-ville (Franprix, Monoprix) au hard discount (Leader Price). Il est même présent dans le e-commerce avec Cdiscount. Dans la plupart des enseignes du Groupe, il est possible d’acheter sur place et se faire livrer, ou d’acheter en ligne et de venir chercher ses achats en magasin, soit en voiture (click and drive), soit à pied (click and go)… C’est devenu banal mais procède bien d’une volonté d’hybrider les espaces immatériels et matériels. Ces activités très pratiques pour les clients créent de nombreux emplois tout en commençant à poser parfois des problèmes d’embouteillages de livreurs… Autre hybridation réussie, Monoprix a signé un partenariat avec Amazon par lequel il s’engage à livrer à partir de ses magasins les produits frais qu’un client achète sur Amazon. Le succès a dépassé les attentes et ne semble pas avoir cannibalisé la clientèle habituelle de Monoprix. Sur les produits frais à livrer immédiatement, Monoprix a donc démontré qu’il était plus performant que le champion mondial de la logistique.
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Extrait de La Gazette de la Société et des Techniques – N°10 – Mai 2019
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