Le prix Nobel d’économie N. Solow disait : « Vous pouvez voir l’ère informatique partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Ne vivons-nous pas aujourd’hui le même paradoxe en matière d’information, de connaissance, et même d’intelligence ?

En 2000, l’Europe se fixait le fameux objectif dit de Lisbonne qui visait à faire de l’Europe à l’horizon 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Non seulement l’Europe ne s’est pas hissée au premier rang, mais pire, l’illettrisme n’a pas régressé. Il a même augmenté si on prend en considération ceux qui ne comprennent que très partiellement le sens des textes qu’ils déchiffrent avec difficulté.

La contagion de l’ignorance

Peut-être les connaissances des élites ont-elles fait un bond en avant durant la même période ? À voir les débats sur l’un des sujets du moment à savoir la fameuse intelligence artificielle, on peut en douter. L’intelligence artificielle y est présentée tour à tour comme un objet (doté de pouvoirs surpuissants quasi magiques), comme une science et même pour certains comme une quasi-conscience (potentiellement supérieure bien entendu). Cette intelligence artificielle existerait donc en soi et menacerait nos emplois, notre liberté, et même nos vies. Heureusement que l’an 2000 est derrière nous, sinon nous aurions pu appeler cette nouvelle peur de l’apocalypse : la peur de l’an 2000 et elle saisit jusqu’aux cerveaux les plus brillants de notre époque.

En 2017, les études se sont ainsi multipliées pour annoncer une véritable hémorragie des emplois ; au moins 50 % dans les pays occidentaux et jusqu’à 70 % Chine. La création d’un revenu universel devenait dès lors, on le comprend, une impérieuse nécessité si l’on ne voulait éviter un ultime embrasement social généralisé. L’indigence des méthodologies utilisées dans la plupart de ces études aurait pu prêter à sourire, mais le mal était fait. Le spectre de la machine broyeuse d’hommes réapparaissait une fois de plus, mais sous la forme d’une machine vraiment intelligente donc surpuissante.

Depuis, de nombreuses études sont venues profiter à leur tour du coup de projecteur porté sur ce sujet anxiogène. Naturellement, elles contredisent les études précédentes et démontrent qu’un grand nombre d’emplois sera créé autour de métiers complètement nouveaux. En fait, personne ne sait comment ce phénomène que personne n’a pris le soin de réellement définir va réellement évoluer.

Transhumanisme et intelligence artificielle : un cocktail détonnant !

Certains gourous tombés dans le transhumanisme nous annoncent la quasi-existence d’une intelligence artificielle dite forte qui développerait une conscience d’elle-même à l’image des oeuvres d’anticipation les plus débridées. Une annonce un peu étonnante puisque tous les chercheurs sérieux du domaine précisent qu’elle n’existe toujours pas, mais surtout qu’ils n’ont aucune idée si elle existera un jour.

Pour ces mêmes gourous, il nous faudrait impérativement développer une complémentarité avec la machine si nous ne voulons pas finir broyés. Ce conseil semble frappé au coin du bon sens, mais est-il si pertinent ? Comment pourrait-on développer une complémentarité avec la machine intelligente pour se protéger, alors que ladite machine a vocation, par construction, tôt ou tard, à tout imiter de nous ?

L’intelligence artificielle n’est ni un objet, ni une science et encore moins une conscience. C’est l’une des pointes avancées de la révolution numérique. Pas d’intelligence artificielle sans capacités de calcul, sans données, sans capteurs… C’est un continuum. Qu’elle intelligence aurions-nous su développer, nous humains, sans nos sens qui nous relient à notre environnement et à nous même ? La question de l’intelligence de la machine est posée depuis les premiers jours de l’informatique. Le premier vrai ordinateur date de 1947. Turing posa dès 1950, les nombreuses conditions à remplir pour qu’on puisse penser qu’un ordinateur soit capable d’imiter l’intelligence humaine au point de duper des humains : le fameux test éponyme. Il anticipait que le test pourrait être passé avec succès autour de l’an 2000.

Si une catastrophe est prête à advenir, ce n’est pas tant que l’ordinateur imite l’homme, mais au contraire que l’homme fasse tout pour imiter le robot, ce qu’il semble s’ingénier à faire dans les entreprises. Heureusement, l’entreprise semble aujourd’hui se réveiller de ce cauchemar et déclare l’humain au centre de ses préoccupations.

Une urgente libération des énergies

Profitant de ce vent nouveau, il devrait donc être possible de réhumaniser d’urgence certains postes de travail comme ceux de certains opérateurs humains de centres d’appels qui sont obligés de répéter des textes qui leur sont présentés à l’écran même lorsqu’ils ne correspondent en rien au cas exposé par le client. Il ne s’agit pas de textes écrits par une intelligence artificielle, mais seulement par une intelligence qui se croyait suffisamment supérieure.

Hâtons-nous avant que les progrès rapides des robots conversationnels (chatbots) n’opèrent une vraie saignée. Comment identifier ces postes en grand danger ? Utilisons une inversion du test de Turing, le test de Gnirut pour libérer les humains transformés en automates non débrayables.

Article dans le cercle les Echos