La transformation digitale de l’entreprise est incontestablement l’une des urgences stratégiques du moment et pourtant elle a commencé il y a plus de vingt ans…

Web Side Story

Adapter l’entreprise à la nouvelle donne digitale est devenu une nécessité stratégique depuis l’arrivée du web, vers la moitié des années 90. Les « experts » de ce qui ne s’appelait pas encore le « digital », mais les NTIC, annoncèrent unanimes que désormais, plus rien ne serait comme avant : ni la manière de s’informer, ni celle de communiquer ou d’acheter… Il fallait laisser la place aux moteurs de recherche, à l’information et la culture gratuites, ainsi qu’au « e-commerce », et à la banque en ligne…

Les entreprises classiques (« brick and mortar ») étaient sommées d’adapter au plus vite leur business model, sous peine de disparaitre comme les dinosaures. Parmi les premiers secteurs à paniquer figurait déjà l’industrie bancaire montrée du doigt comme la prochaine sidérurgie[1] et donc condamnée à fermer nombre de ses agences et à tailler à la serpe dans ses effectifs dits pléthoriques. Comment réagir en effet face à l’imminence du déferlement de la banque en ligne que le web semblait annoncer et que Microsoft semblait vouloir hâter en 1994 en s’offrant le plus gros rachat de son existence, Intuit, le champion des logiciels de gestion et de finance personnelles. Ce projet de fusion fera trembler la planète bancaire jusqu’à ce qu’il soit opportunément retoqué en 1995 par l’administration fédérale, ce qui n’empêchera pas les opérateurs telecoms de lorgner à leur tour sur le juteux marché de la banque en ligne même s’il faudra en fait attendre 2017 pour voir en France une telle initiative avec l’arrivée d’Orange dans la banque.

A la fin des années 90, presque tous les secteurs commençaient à paniquer et les grands groupes nommaient en masse, au sein de leurs organigrammes, les fameux directeur e-business, chargés de développer les ventes par le canal on line. Dans certains cas, comme ceux par exemple de Fnac.com ou voyages-sncf.com, ils ont créé de toute pièce une structure externe (filiale, division indépendante…), spécialement dédiée à la vente en ligne afin de ne pas être ralentis par les lourdeurs classiques de la grande entreprise (déjà !).

En 1999, Uber existait déjà : il s’appelait Napster

Quinze ans plus tard, Maurice Lévy sonne le tocsin en indiquant que tous les patrons qu’il rencontre désormais ne lui parlent plus que de leur frayeur de se faire « uberiser », créant par la même occasion un buzz médiatique mondial autour du terme uberisation, synonyme de disruption, désintermédiation, plateforme et concurrence déloyale… Or, les principes de l’uberisation n’étaient pas nouveaux. Ils étaient presque tous présents dès 1999. A l’époque un site internet faisait déjà la couverture des plus grands magazines en raison des ravages qu’il causait à une industrie, celle du disque jusque-là plutôt bien portante : Napster, une plateforme d’échange de fichiers MP3.

Le modèle Napster réinventait les usages de la musique, en phase avec les souhaits des consommateurs (ce qu’on appelle aujourd’hui l’expérience utilisateur). En permettant facilement la rencontre en ligne entre des amateurs qui détenaient la musique et ceux qui voulaient l’écouter, Napster était une place de marché qui mettait en relation des non professionnels entre eux, pour un usage non prévu voire interdit par la législation (les prémices de l’économie du partage ?). Bref, c’était une plateforme avant l’heure ! Si les ravages de Napster sur l’industrie de la musique étaient régulièrement décriés, Naptser, de son côté, montrait du doigt les pratiques contestables de l’industrie du disque et soulignait les avantages de sa solution pour le développement de la culture musicale pour tous, une ligne de défense sociétale et pro-innovation que ne renieraient pas les avocats actuels d’Uber… Pour conclure, chez Napster l’innovation reposait déjà sur un modèle économique et de nouveaux usages mais elle s’appuyait également sur un saut technologique ce qui n’est pas le cas d’Uber : le fameux peer-to-peer et les fichiers mp3.

Nous avons donc collectivement assisté sinon à une sorte de « pause », du moins à une sorte de désynchronisation de près de quinze ans entre la vitesse de transformation digitale de la plupart des organisations et celle de la société et de l’économie qui entre temps s’est accélérée (géolocalisation, recommandations sociales, réseaux sociaux, smartphone…).

Transformation digitale : un indispensable engagement dans la durée

Devant l’urgence de resynchroniser la transformation digitale des entreprises avec celle de la société et de l’économie, de nombreuses entreprises ont nommé une fois encore des femmes ou des hommes providentiels : les Chief Digital Officers (CDO). Si la plupart d’entre eux ont effectué ces dernières années un indispensable travail d’évangélisation et de remise en tension des organisations sur la transformation digitale, de plus en plus de voix y compris parmi les CDO eux-mêmes, réclament de passer à une autre étape, une démarche plus décentralisée (répartie) et plus collaborative.

Pour inspirer ce retour au temps long et à la mobilisation générale, le séminaire « transformations digitales »  de l’école de Paris du management a choisi de privilégier, en ce début 2017, des prises de parole de dirigeants, visiblement inspirés par cette transformation digitale. Une transformation en profondeur qu’ils portent personnellement depuis plusieurs années. Qu’il s’agisse :

  • de l’expérience du groupe Amaury qui nous rappelle qu’une transformation digitale en profondeur est aussi une affaire de stratégie d’entreprise et de management (conférence débat du 19 janvier),

  • de l’incroyable travail de fond des experts comptables pour faire émerger les normes qui permettent aujourd’hui à plus de deux millions de TPE/PME de dématérialiser leurs flux de données avec les administrations et les banques et à leur conseil de confiance, l’expert-comptable, de se trouver au cœur des flux de l’entreprise  (conférence/débat du 6 mars),

  • de l’impressionnante utilisation du digital par Pernod-Ricard pour mieux connaître ses clients et pour défendre un portefeuille unique de marques mondialement connues par une maitrise interne d’un marketing de précision (conférence/débat du 12 avril),

  • ou encore l’improbable transformation de la PMI charentaise Lippi, plusieurs fois primée et probablement l’une des plus radicales en France et qui récolte aujourd’hui des résultats commerciaux surprenant en lien direct avec une transformation en totale initiée dès 2008 (séance du 18 avril).

[1] Une vision cauchemardesque instillée dès 1978 par le fameux rapport Nora-Minc.