Archive 2006 – Article de Christophe Deshayes initialement publié sur le Journal du Net et sur documental.com le 9 juin 2006. Dix ans après, la télé ne cesse de finir sa mutation mais les usages individualisés (VOD, Streaming…) sont effectivement devenus la norme et la télé sur mobile se regarde beaucoup… chez soi.

Une télé sur soi ?

Les premières offres de télévision sur téléphone mobile semblent plébiscitées par le public, prêt à payer, parfois cher, pour ce nouveau service, « regardé » dans la moitié des cas… à domicile. La course est partie ! Les producteurs de contenus spécialisés (sport, musique, charme…) multiplient les initiatives…

La TV mobile est à la fois : une technologie (UMTS, TVHD,…) ; un segment de marché (mode de consommation, type de clientèle ou type de contenu…) ; et la convulsion la plus récente de l’industrie médiatique en crise ! Après la presse ébranlée par le blog, les radios bousculées par le podcasting, ce serait maintenant au tour de la télévision d’entrer dans la tourmente…Pour Joël de Rosnay, c’est la révolte du pronétariat ! Les utilisateurs prennent le pouvoir, et ça change tout ! La référence marxiste est surtout utilisée ici pour marquer les esprits et conduire aux concepts de « pronétaires et d’infocapitalistes », qui caractérisent la bascule des pouvoirs en cours, que Joël de Rosnay prévoit progressive, mais irréversible.

Quand le spectateur fait son show

Dans le numéro mars-avril 2006 de la Revue « Le débat », c’est à Schumpeter – le théoricien de l’entreprenariat, que le sociologue Jean-Gustave Padioleau emprunte la grille d’analyse de la «destruction créatrice», ce processus chaotique où destruction et création sont liées. Pour le sociologue, la force créatrice actuellement à l’oeuvre émerge de

« publics de citoyens-acteurs-joueurs se déplaçant dans des espaces de communication en vue de concocter des univers, des environnements informationnels propres. D’une manière ou d’une autre, avec plus ou moins d’ampleur, les publics co-produisent les transmissions, les réceptions et les interprétations. En somme, ces espaces évoquent la configuration du système des jeux-vidéos, individuels ou en réseaux, au sein duquel les joueurs remplissent des rôles-pivots. Les joueurs ne sont pas en dehors des consoles, il font activement partie du système. »

Cette « révolution copernicienne » modifie radicalement la place de l’utilisateur. Elle touche l’ensemble des TIC depuis plus d’un an sous le nom, certes un peu marketing, de web 2.0. On y trouve les blogs, wikis, podcasts, folksonomies, et autres medias citoyens. Le « potentiel social, donc révolutionnaire » de la technologie éclate au grand jour ! La télé n’y échappe pas.

Désormais, chacun est invité à s’investir, à participer. La TV mobile illustre si bien ce nouveau rapport plus personnel avec le contenu, que Laurence Meyer, directrice d’études à l’Idate, n’hésite pas à parler

« d’egocasting »,

tendance ou chacun sélectionnerait ses programmes, les découperait, pour reconstruire la « télévision de ses rêves ».

La fin du consommateur passif…


 

 

Pour autant, si ce « citoyen-acteur-joueur » est d’avantage centré sur son ego, il est aussi plus altruiste et prosélyte (le succès des compilations musicales personnelles (playlists) en est une preuve).

La « TV sur mobile » ne fait que révéler l’action de réinvention de la télévision. Cette télévision se construit dès aujourd’hui sur des tendances sociologiques, déjà observables. Les utilisateurs sont le système ! La téléréalité surfe en partie sur cette lame de fond. La TV sur Mobile va accélérer et pousser encore plus loin l’intimité que le « citoyen-acteur-joueur » entretient avec le support technologique (téléphone), la plasticité du contenu (interactivité). Elle va rendre poreux son contexte immédiat d’action (public, privé ou secret) tout en le projetant dans des expériences « augmentées »  (par delà ses capacités physiques), dans des mondes persistants (se développant sans sa présence) dans des relations foisonnantes avec autrui.

Les nouvelles technologies (dont la TV sur mobile) jouent un rôle de premier plan certes, mais pas central. Quant au consommateur, il se meurt ! Place au « citoyen-acteur-joueur » !



Tribune publiée sur documental.com et sur JDN 9 juin 2006

http://www.journaldunet.com/tribune/060609-deshayes.shtml