[Retrouvé dans les archive] – L’article de Christophe Deshayes ci-dessous a été initialement publié le 9 juillet 2006 sur le site documental.com.
Dix ans après, le rôle ambivalent des réseaux sociaux dans le développement du « capital social » de tout un chacun reste entier : à la fois générateur de confiance et de défiance. On comprend pourquoi les approches marketing des entreprises ont plutôt intérêt à se montrer « subtiles ». 

Du web 2.0 aux réseaux sociaux numériques

L’année 2005 fut l’année du redémarrage d’une incroyable effervescence mondiale autour de l’internet, au point de faire croire à de très nombreux acteurs que la « vague » internet était de retour. Le prétexte de ce retour ? Des technologies internet d’une nouvelle génération rassemblées tant bien que mal autour d’un concept facile à comprendre (du moins en apparence) le Web 2.0.

Dans le Washington Post du 11 juin 2006, Sara K. Goo relate dans un long papier au titre très américain en forme de jeu de mot intraduisible « Here .Coms the Bride » comment un site Internet dédié à l’organisation de mariages transforme la vie d’une future jeune mariée grâce à ses fonctionnalités de type réseaux sociaux. Le site www.theknot.com (le nœud) met en effet en relation de nombreuses jeunes femmes qui souhaitent « seulement parler de robes de mariées, d’idées de lune de miel où même s’épancher à propos de leur belle famille ». Ces groupes de jeunes femmes naturellement s’échangent leurs notes sur le meilleur fleuriste ou le meilleur traiteur de tel ou tel endroit et finissent par se rencontrer en vrai !

Entre Filles, il faut s’entraider !

Sara K. Goo choisit de nous faire vivre de l’intérieur son aventure avec ses copines virtuelles les « knotties ». Ayant choisi un mariage de rêve à Hawaï alors qu’elle habite Washington DC, l’affaire n’allait pas de soi. L’aide de son réseau de nouvelles « copines » l’a naturellement aidé à résoudre les mille et un problèmes que doit résoudre une future mariée (coiffure, traiteur…) et pendant de long mois les « chat » avec ses knotties de Hawaï, qui s’empressaient, à la moindre demande de sa part, d’aller vérifier la qualité de tel ou tel ingrédient du mariage de rêve, furent toute « sa vie sociale ». Une image particulièrement savoureuse en dit long sur le degré d’implication de Sara et de son jeune fiancé. Il est tard, ils sont dans l’intimité de leur cuisine de Washington, l’un en face de l’autre, chacun son ordinateur portable ouvert, l’un en train de chercher des idées, des lieux… et l’autre en train de demander à ses knotties d’aller vérifier la qualité des informations recueillies sur les sites internet.

Cette possibilité de vérifier sur le terrain les dires des fournisseurs est tout à fait rassurante pour une fiancée qui organise le plus beau jour de sa vie face à une industrie du mariage qui pèse 72 milliards de dollars. Bref une bonne solution pour donner confiance dans une situation où on doute de tout !

Emergence du marketing communautaire ?

L’histoire se situe aux USA. Elle se termine donc bien, du moins en ce qui concerne le mariage, parfaitement organisé grâce aux knotties. En revanche, de retour à Washington, Sara se connecte sur Knot.com qui, a sa surprise la réoriente automatiquement sur un site presque identique : Thenest.com (le nid), dont l’objet est d’accompagner les jeunes mariées pendant la première année du mariage avec un réseau social de « nouvelles » nouvelles copines, les « Nesties » mais aussi avec une avalanche de publicités pour l’aide à sa déclaration fiscale, la souscription à la carte « Nest American Express », la date du prochain rendez-vous des nesties du coin…

Même si Sara avait conscience, en échange du service, d’avoir effectivement autorisé le site « theKnot » à diffuser des informations la concernant, la publicité agressive du site « theNest » l’a dégoûté instantanément. Depuis elle a éteint son ordinateur et « profite de sa nouvelle vie dans le monde physique » !

Un succès programmé

Tocqueville affirmait dans « De la démocratie en Amérique » que la première chose qu’il retenait de son voyage en 1830 était le goût des américains pour tout type d’association civile, source selon lui du bon fonctionnement de la démocratie et définition avant l’heure de la notion de capital social dont on démontrera par la suite toute l’importance :

« Les américains de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les esprits, s’unissent sans cesse. Non seulement ils ont des associations commerciales et industrielles auxquelles tous prennent part, mais ils en ont encore de mille autres espèces : des religieuses, des morales, des graves, des futiles, de fort générales et de très particulières, d’immenses et de fort petites […] il n’y a rien, suivant moi, qui mérite plus d’attirer nos regards que les associations intellectuelles et morales de l’Amérique ».

A l’heure du déferlement des réseaux sociaux virtuels, véritable cœur du Web 2.0, cette deuxième génération de technologie Internet qui vise à permettre à chaque internaute de développer son capital social (cher à certains économistes, politologues et sociologues), on voit que malgré les observations du professeur de Harvard Robert Putnam qui constatent un déclin du capital social aux USA, les américains ont encore une belle supériorité en la matière. De quoi s’attendre à ce que la deuxième vague de technologies Internet (Web 2.0) aussi appelée peopleware, entrenet, ou Technologies de l’Aide à la Coopération (TAC) profite encore une fois un peu plus aux américains et autres cultures portées à la coopération.
Mais évidemment si les pratiques des marketeurs zélés et autres publicitaires pressés, une fois encore, à l’inverse de tous les principes du commerce durable saute sur le prospect sans réserve, les aspects pourtant passionnants de cette deuxième vague Internet pourrait bien faire long feu. Une telle attitude, bien plus que les valorisations redevenues mirobolantes des startup Web 2.0 pourrait faire éclater la bulle que beaucoup redoute.